dimanche 8 octobre 2017

Working Girl, la vie au Siège ou dans un fauteuil


Siège, définition Wikipédia (enfin presque) : "le siège ou siège social d’une entreprise est le lieu où se trouve sa direction centrale. Du latin sedes et de l’italien sedere qui en français signifie être assis, siéger, poser son gros cul dans un siège confortable pour ne plus en décoller de la journée."
Bienvenus dans ma nouvelle vie professionnelle que je côtoie depuis juin. Finis les problèmes de chauffage, de fuite d’eau dans mon bureau, terminé le management d’une équipe de cas "sociopathiques", les plats de la cantine flottards à la limite du respect des règles sanitaires, les ascenseurs en panne une fois sur deux. Welcome dans le monde de l’espace ou de l’Espace, ça marche aussi.
Quand tu passes d’une direction régionale à un Siège, c’est comme faire le grand écart pour la première fois : tu sais qu’il va te falloir plusieurs heures d’entrainement pour pouvoir y parvenir et que ce ne soit plus douloureux.
Qui dit Siège social, dit vitrine de la marque. Faut que ça claque à l’extérieur comme à l’intérieur du bâtiment. Alors tu mets un énorme logo sur la façade du building qui ressemble à un paquebot des chantiers St Nazaire, tellement qu’il est gros. Tu pénètres dans le hall d’entrée par une porte à « tournicoti » comme on voit souvent dans les hôtels, vous savez celles qui se mettent à tourner toutes seules mais qui se bloquent si tu marches trop vite. Dommage que celle empruntée par Lady Di et Dodi al Fayed ne soit pas restée bloquée, ça nous aurait peut-être évité le mémorial du pont de l’Alma. Désolée pour cette digression mais j’avoue que ce modèle de porte me fait toujours penser aux dernières images de Diana et son keum à la sortie de leur restau.
Une fois l’épreuve du "tournicoti" remportée avec succès, te voilà dans la zone d’accueil, le paradis de l’espace inutilisé et de la démesure. L’écran plat qui fait la taille de la baie vitrée de ton salon, diffuse en continu la nouvelle campagne de pub qui te ressort déjà par les yeux. Et oui, les deux points noirs que tu distingues à vingt mètres sont bien les chevelures des hôtesses d’accueils qui dépassent à peine de leur comptoir surdimensionné.
Vous l’aurez compris dans un Siège, tu parcours des kilomètres pour aller d’un endroit à un autre ; mais c’est mieux parce que quand tu travailles au Siège, ton pas doit être alerte, dynamique pour montrer que t’es méga occupé. D’ailleurs, les personnes qui se déplacent dans les couloirs ont leurs  ordinateurs ultrabook ouverts, greffés sur une main et casque audio implanté sur leur crâne, pour ne pas manquer le début ou la fin de la 12ème confcall skype de la journée.
Ah les réunions skype, une façon de travailler très Siège, qui demande également un peu d’habitude et de patience. Habitude pour éviter d’envoyer un message à l’ensemble des participants alors qu’il n’était destiné qu’à une seule personne. Habitude également pour ne pas ouvrir par inadvertance son micro et se mettre à prononcer des horreurs sur le travail d’un tel ou un tel. Et patience, parce que nombreux sont ceux qui se connectent avec un quota de trois ou quatre minutes de retard réglementaire ; et oui la réunion précédente s’est terminée plus tard que prévu, ou l’un des participants a un problème de connexion et passe son temps à pourrir le fil de messagerie avec des remarques du style : "vous m’entendez là ?" ou "je ne vois pas la présentation", "j’ai un problème avec mon micro". Bref tu perds au moins dix minutes par réunion à régler les détails techniques.
Tout cela n’est pas bien grave car au Siège, la notion du temps est bien particulière. L’écart type entre les premières et dernières arrivées le matin, dépasse les 2h30 facile et ça ne choque personne : dans mon open space (c’est-à-dire dans mon bureau partagé avec cinq autres personnes), quelle ne fut pas mon étonnement de constater qu’une de mes collègues arrivait tous les matins entre 10h30 et 11h00 ? J’ai naïvement pensé qu’elle travaillait en horaire décalé ; mais point du tout, c’est juste qu’elle n’est pas du matin… Bizarrement l’écart type du soir est lui, de faible amplitude, allez savoir pourquoi.
Durant ma période d’observation j’ai également constaté que certains passaient un temps non négligeable dans les espaces dits "de convivialité" à siroter des Nespresso gratôsses.
C’est la fameuse stratégie de la "discussion informelle", parce que c’est bien connu, autour d’un café (surtout s’il n’est pas payant,) t’en apprends beaucoup plus que derrière ton ordinateur… Le chic du chic reste quand même de t’octroyer une pause en ayant quand même l’oreillette à poste, pour éviter de louper un truc au cas où t’appellerait sur ton iPhone 15.
Quand tu arrives au Siège, il faut également que tu apprennes à parler la langue du pays et t’habituer à ce que quand quelqu’un te croises en te disant "bonjour comment vas-tu", la réponse "très bien je te remercie et toi ?" ne l’intéresse absolument pas, puisqu’il a tracé sa route pour ne pas être en retard au brief de la journée. Oui j’ai bien dit "brief" car ici on baigne dans les anglicismes : backlog, release, debrief, process, sharepoint, proof of concept (POC), crash test, kickoff and so on… Non seulement tu dois te familiariser avec ces expressions qui ponctuent tes conversations mais tu dois également revoir ta façon de t’exprimer. Au Siège, on ne dit pas :
- "J’ai parlé à Jennifer", mais "j’ai échangé avec Jennifer"
- "Il faudrait inclure ce point" mais "il faudrait embarquer cette évolution"
- "faire une réunion" mais "organiser un atelier"
- "Je m’en occupe"mais "je prends le point"
- "on est dessus" mais "ce sujet est en cours d’instruction"
- "Je suis d’accord avec toi" mais "je partage" ou éventuellement,"je te rejoins"
- "Laisse-moi le temps de regarder mes mails" mais "laisse-moi le temps de déplier mes mails"
- "Cordialement" mais "Bien à toi" surtout si tu viens de balancer à ton interlocuteur une réponse qui tu le sais, ne va pas lui plaire

Ce qui est également déroutant, c’est de croiser quotidiennement de nouveaux visages "tellement qu’on" est plein dans ce bâtiment. Et puis, chaque jour c’est un défilé de la fashion week : tu repères les consultants extérieurs à leurs costumes ajustés et chaussures rutilantes. Pour certaines, les talons sont de sorties ou les jupes ras la fouffe seront au rendez-vous été comme hiver. Et pour pouvoir admirer ces défilés, rien ne vaut le poste d’observation  des canapés de l’espace café, situés juste à la sortie de la cantine :
- "Tiens il est encore là lui ? Je croyais qu’il avait été viré. »
- "Il s’est fait des implants non ? on dirait qu’il a une moumoute sur le crâne !"
- "Elle en a pas marre de montrer sa culotte ?"

Voilà donc le fruit de mes trois premiers mois d’observation. J’essaie progressivement de me fondre en toute discrétion dans ce nouvel environnement dans lequel les comportements humains sont plus que captivants, parce que souvent surjoués à compter du moment où tu franchis la porte tournicoti du fameux hall d’entrée.  
Pour ma part, je vais essayer de rester moi, je mettrai un peu de formes pour éviter d’être  virée trop rapidement mais j’essaierai malgré tout de conserver ma dose de "n’importe quoi" qui permet j’en suis certaine, de  maintenir la spontanéité d’une relation humaine.
Bien à vous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour publiez un commentaire, vous n'êtes pas obligés de vous connecter à l'aide d'un des comptes listés dans le menu déroulant ; il vous suffit de sélectionner "Anonyme" à la fin de ce menu.